Vol de 1100 kilomètres
jusqu'à Innsbrück |
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Claire LUYAT a été sacrée championne d'Europe 1997 à Prievidza (Slovaquie). NdW* |
Une ribambelle de très beaux vols a pu être effectuée au cours de la période du 11 au 15 Mai 1998. Elle m'a entre autre permis de balader une "Chantal surexcitée" du côté de Chur avec de beaux alignements de cumulus dans le début de la vallée du Rhin. Malgré toutes ces belles journées, je n'avais pas trouvé moyen de faire ces "fameux" 1000 bornes tant convoités. Le Dimanche suivant, la météo annonce une nouvelle période de conditions propices aux grands vols du Lundi jusqu'au Mercredi au moins, avec un vent de Nord-Nord Est faiblissant le dernier jour. Lundi, malgré le vent fort et un début de circuit laborieux, Jean Michel Garcin et Patrice Loret peuvent atteindre le Nord du Lac de Côme (Italie) et se laisser pousser par le vent jusqu'au col de Tourniol (Drome) avec une moyenne faramineuse entre Zermatt et Challes! J'arrive au terrain Mardi, avec dans l'idée d'effectuer un vol de reconnaissance et de m'économiser pour le lendemain. Cependant je me retrouve successivement dans deux machines bruyantes qui sont le remorqueur et le treuil, non sans avoir eu recours, au préalable, à un odieux chantage avec Christophe qui me promet le LS6 Uniforme Québec pour le lendemain.... Le soir, Emmanuel Dombre alléché sans doute par la vue des cumulus du jour a pu soudoyer une journée de libre à EDF pour venir voler (bonne boîte....). Ensemble, nous préparons le "terrain" pour le jour fatidique: les planeurs prisés pour le circuit au début du hangar, l'avion remorqueur plein d'essence fait avec câble à l'intérieur ! La nuit est calme et étoilée, tandis que la pilote, elle, ne cesse de faire la crêpe dans son plumard. 7h00: debout! Petite hésitation sur le panneau: je décide un point de virage au Mont Aiguille pour les kilomètres gratuits et un point au Sud Ouest d'Innsbrück : Axams, ce qui m'évite d'aller tourner au milieu de la vallée. C'est l'heure; à 9h30, Noël Genet qui a eu l'excellente idée d'être matinal amène l'avion, KZ. Après les quelques clapotis des 80 l d'eau dans les ailes de l'UQ, l'attelage s'ébranle et seconde après seconde prend contact avec l'air, le planeur s'éveille. A 1700m, après quelques soubresauts, je libère l'avion, impatiente: "nous y voilà". Les ascendances sont déjà au rendez-vous et me font comprendre qu'il était plus que temps que j'arrive. Le LS6 frôle les crêtes entre 110 et 120 km/h, le temps d'évaluer l'intensité des courants d'air chaud et je poursuis vers le cumulus du Chamechaude qui n'attend que nous. Comme souvent à cette heure matinale, il prend naissance sur le Nord de la falaise calcaire. A 2000 m, je cueille le 3 m/s au ras du caillou. 3, 4 tours suffisent; je quitte à 2200 m saluant au passage un randonneur solitaire. En survolant la ville de Grenoble qui se prélasse au soleil, je savoure à l'avance à la vue du chapelet de nuages qui jalonnent les crêtes du Vercors. L'air dans le cirque du Moucherotte frémit. Tout en serrant les roches ensoleillées, j'admire les hirondelles qui s'en donnent à coeur joie. Au Pic St Michel, je passe mon aile au-dessus des arêtes tout en accélérant. Une marmotte surprise cavale sur un névé avant de disparaître dans son terrier. Les cumulus se décalent à l'Est des crêtes 5 km avant le Mont Aiguille. Le premier objectif est atteint à 10h30, vers 2200 m. Me voilà la reine du pétrole: l'autoroute pour Challes les Eaux est ouverte sans limitation de vitesse . Je maintiens l'UQ - qui commençait à se rendormir- au niveau des crêtes. L'aiguille bondit de 150 à 200 km/h. Je réduis la cadence un peu avant le Moucherotte remontant à 2200 m peu après avoir croisé Henri du côté du Pic St Michel. Retour au Chamechaude pour enchaîner aussitôt sur les falaises de la Chartreuse beaucoup plus sculptées et tortueuses que leurs voisines du Vercors. A 2200 m au Granier, je transite par le Sud de Challes en direction du Pic de la Sauge; il est 11h00 !! Des signes prometteurs trahissent un bon cheminement jusqu'au Colombier. L'UQ monte comme une bulle de savon: la Galoppe, les sapins de la buffle, le Colombier à 2000 m. Deux , trois tours de spirale et j'abandonne les quelques promeneurs à leur plaisir pédestre. Un coup de radio, m'apprend qu'Emmanuel est déjà passé aux Aravis et malgré la fameuse radio pourrie du Sierra Hôtel, je comprends que c'est fumant :"j'arrive ! ". Les ascendances sont suffisamment soudées pour me permettre de cheminer sans "Stand by". Légère poussée sur l'arête Sud de l'Arcalod et sur la petite pointe à l'Est, grosse bouffée sur la pente herbeuse au sud de la Sambuy. Je quitte à 2200 m et choisis la Dent de Cons pour continuer dans la "politique de la ligne droite". A 2000 m, les pentes raides du Charvin glissent sous mes ailes. Les cumulus sur les crêtes plus au Nord ont une bouille plus triste que les matérialisations qui s'arrondissent à l'Est au-dessus des collines boisées. Forte de l'expérience des précédents jours, je choisis cette voie. Les thermiques me hissent à 2200 m jusqu'à Mégève où je tombe à bras ouverts dans un magnifique 3 m/s rond, régulier pour vélivole fainéant. Enfin au plafond, à 2500m, 2600m, je prends un cap moyen en direction des sapins du Prarion en louvoyant sous quelques barbules qui flânent travers le Mont Joly dont les ravines sont encore enneigées. A 2200 m à l'aplomb d'un chalet qui se blottit dans le col, le LS6 se cabre dans l'ascendance et profite de son énergie au passage. Les pentes du Brévent poussent vigoureusement à 2100 m et je peux m'aventurer , sans spiraler dans la vallée de Chamonix où viennent mourir les glaciers du Mont Blanc. Les thermiques se décrochent du léger replat des Aiguilles Rouges. Le lac Blanc me fait des clins d'oeil sous le soleil. Je survole le mont de l'Arpille à 2500m à 12h00 et en profite pour remplir le cimetière à poulet. Quelques instants auparavant, Emmanuel m'annonçait que "la Suisse, c'est bon" mais je sens au son de sa voix un peu moins d'entrain que la fois précédente. A 2100 m, le Grand Chavalard me donne des pompes irrégulières. Mais comme on s'habitue vite au bonnes choses, je continue d'avancer dans un optimisme démesuré: le Muveran, les Diablerets. Je m'obstine. Pourtant, je suis bien forcé d'admettre que le bilan est négatif et si je continue à persister dans la théorie "la ligne droite , y a qu'çà de vrai", je vais finir par manger du chocolat au bon lait de "vache suisse". Je tourniquote deux tours dans une ascendance qui a du vague à l'âme. Excédée par autant de dédain, je me laisse glisser vers Cran Montana avec le doux espoir d'y trouver la bonne vieille pompe de service. Le fournisseur officiel de pompes du avoir pitié et m'offre à 1900 m le premier 3 m/s helvétiques que j'enroule avec passion. Malgré mes 3100 m, il faut patienter jusqu'au travers de Brig pour libérer la bête qui dort. Des petits lacs d'un bleu lagon se lovent dans les concavités du long glacier courbe de l'Aletsch. A Fiesh, l'UQ se faufile entre les innombrables parapentes qui ressemblent à un amas de moucherons colorés. Tout en avançant vers Münster, je refais 3300 m. Les pistes d'un gris pâle au milieu de l'herbe grasse sont sans âme qui vive. Le col de la Furka est franchit à 13h15. Dans un crachotement, j'entends que Manu est passé par Airolo. Je tente par Andermatt et la vallée de Disentis mais je dois prendre le côté Sud au vue de l'aérologie du jour. Au Nord de la pointe Centrale, je rencontre mon deuxième planeur de la journée, un ASH 25 également qui spirale avec conviction; à 2800 m, je me joins à son ballet. Les crêtes plus basses que du côté du Rheinwaldhorn me permettent de ne pas m'arrêter même si les bases n'excèdent pas 3300 m. Je survole Thusis et son champ. Bien ensoleillés, je "tartine" sans soucis vers les versants Sud qui se trouvent au Nord de la vallée qui remonte ensuite vers Davos (veuillez suivre SVP) me donnant le vario à la hauteur de mes espérances: royal! Chatouillant les bases grises d'un bel alignement m'apportant sur un plateau la verdoyante vallée de St Moritz, je passe le col de Flüela. Zernez m'accueille avec beaucoup de tact: 4 m/s...., tandis qu'un Emmanuel heureux vire à Nauders à 14 h 30. L'UQ comme gagné par la frénésie générale s'envole vers la frontière.
Un bout d'aile en Autriche et l'autre en Italie, je remonte sur la pente au Nord du Lago di Résia. Il est tout juste 14h50. Frôlant les bases, je survole un autre lac, tout en longueur, dont je ne trouve pas le nom sur la carte. Je "zieute" de temps à autre les kilomètres sur le GPS, histoire de me faire monter l'adrénaline: 400 km de Challes, 420.....Je prends un cap un peu plus Est pour suivre quelques alignements. Le plafond est tombé de 3700 m à moins de 3000 m sur la crête qui me cachait encore Innsbrück; tout est étalé et la vallée est plongée dans l'ombre. Mais la voilà cette fameuse ville comme protégée par ses montagnes. Afin d'éviter un point d'attente indésirable, je renonce au point de virage à 5 km au Sud Est de ma position mais à la même distance par rapport à Challes que celui pris à la place. Une petite pointe de regret m'assaille déjà ! Kilomètre 447, 15h25, 2700 m, tout va bien, pas de panique. Je retrouve l'arête Sud que j'ai quitté 5mn auparavant et raccroche sans trop de difficulté à 2500 m.
A l'Ouest, le soleil à nouveau. Je peux voler vite et il ne me faut guère plus de 20 mn pour repasser Nauders. A voler trop vite quelquefois, on en oublie de "chiader" le cheminement, je me retrouve punie verticale Ramosch à 2500 m dans l'incertitude la plus totale et pas du tout inspirée par les champs répertoriés en dessous. La pente herbeuse abondamment ensoleillée côté Nord devrait me sortir de là dotant plus qu'en levant la tête pour trouver la pompe, j'aperçois un couple d'aigles tout là haut. Çà part: 5,7 m/s à l'intégrateur: médaille de la meilleure pompe de la journée et je remercie de toute mon âme ces braves bêtes. A 3800 m, le moral est au beau fixe: Davos, Thusis ne sont plus qu'un souvenir. Au Nord de la pointe de Crap Grish, je retrouve un 3 m/s puis à la pointe Médel. Je cherche à rester haut pour le secteur d'Andermatt qui m'a fait souvent le coup des pompes séniles ces derniers temps. Effectivement, je passe le col de la Furka à 17h30, 2600 m à l'altimètre avec des varios au rabais. Je me sens un peu seule dans mon coin de Suisse car aucune onde radio ne parvient jusqu'à moi et mes batteries commencent à tourner de l'oeil. Je regarde avec inquiétude des nuages sombres vers Brig. A 2300 m, je retrouve 2 m/s sur le versant de Fischental et je le conserve jusqu'en haut. Je survole à 3300 m l'Eggishorn et les petits lacs bleus de tout à l'heure devenus grisâtres. J'aperçois encore de belles formations dans la Lötschental, vallée souvent très bonne tard le soir. Je savoure l'ascendance jusqu'au plafond 3400 m bien consciente que c'est la dernière avant un bon moment: Un imposant grain de neige obstrue la vallée à partir des antennes de Leuk: aucune échappatoire, il va falloir passer par dessous. Seule information: peu réjouissante....: "la vallée de Chamonix est également bouchée". Un peu agacée par tout ces propos négatifs, je décide de jouer la carte de l'optimisme et étant donné le caractère non orageux, je plonge dedans en essayant de ne pas rentrer dans les nuages: chose délicate étant donné les flocons serrés qui peuvent masquer facilement la visibilité devant. Les secondes passent; foutu, pas foutu....? Enfin l'air devient moins sombre et oh, joie, le soleil éclaire les traînées de neige donnant un aspect magique à l'événement. Tout n'est pas encore perdu !! La piste de Sion est mouillée mais ensoleillée. Sous le nuage, ça remonte au milieu des flocons de 2600 m à 3000 m. Le Sud de la vallée est noir par contre les ascendances repartent au Nord malgré le sol refroidit. Je prends 1,5 m/s sur le mont Gond et j'en profite pour lancer un message optimiste à la radio . Le plafond est à 3000 m, mais ça monte au bord d'attaque et jouant des ailes avec le flou du nuage, j'avance sur le côté Nord Ouest du grand Muveran qui m'offre un petit cadeau: une ondulette de Nord Ouest. A 3400 m, au dessus des gros coussins blancs arrondis par le vent, je profite un instant du calme après la tempête avec la sensation d'un sweet home plus très loin. En effet à Chamonix, tout à l'air dégagé: deuxième petit coup de pouce du sort. La pluie s'est enfuie vers les Contamines Montjoie, laissant le soleil prodiguer sa chaleur bienfaitrice. Arrivant à 2800 m au mont de l'Arpille, les varios sont évidemment mous. Je gratte jusqu'à 2900 m au sud du col de Balme. Les faces Ouest du Mont Blanc sont avachies et me déçoivent un peu quant aux Aiguilles de Bionnassay, elles sont définitivement en grève. A 2350 m, ça repart doucement sur les pentes du Mont Joly avec un résidu de Nord Ouest. J'ai vidé mon eau en survolant le col de Balme ainsi l'UQ devient plus expressif. A 2600 m, je laisse les chamois à leurs ébats pour des petits cumulus au sud des Saisies qui piquent ma curiosité. Je tombe la bouche en coeur dans un 2,5 m/s qui me soulève jusqu'à 3000 m à 20h00 me permettant d'aller égarer mes plumes du côté des Belledonnes. Les petites collines à l'Ouest restituent et me maintiennent à 2000 m jusque travers Prapoutel. Cependant ne voulant pas compromettre un vol aussi magique, je mets le cap vers Challes avec le soleil rouge qui joue à cache-cache derrière les arêtes du Granier. Je réalise à peine que cette fois ci, c'est réussi ! A 9h00, arrivée rapide, bien trop raisonnable à mon goût, dans l'air calme de la cuvette de Challes. Emmanuel m'apprend qu'il a viré à Prapoutel après Nauders ne pouvant poursuivre à cause des orages. Il regrette déjà de s'être arrêté trop tôt vers l'Est. Henri a tourné le pont d'Aiguines suivi du col de la Furka et voit son vol s'achever à Chamrousse pour les mêmes raisons. Claire LUYAT |
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