Les Routes des Longues Distances
par le Dr. Hans NIETLISPACH
traduit par W.Schwarzenbach & G.Donnet

 

Document repris à partir de vieilles photocopies d'origine inconnue. Hans Nietlispach relate la découverte au départ de Berne, de la route du Sud Ouest qui passe par Challes les Eaux pour se terminer dans la vallée du Rhône. Les Challésiens reconnaitront des montagnes familières qu'ils survolent avec plus de facilité qu'Hans en 1955.

Hans Nietlispach a reçu la médaille de Lilienthal en 1982, titre honorifique suprême dans le monde vélivole.

NdW*

Grâce à la position géographique de la Suisse, deux routes ont été découvertes pour la performance du vol à voile. Revenant sur ce qui a été fait, j'aimerais montrer les possibilités qui ont été exploitées dans les secteurs nord-est et sud-ouest et ce que l'avenir peut encore nous permettre.

D'après des constatations théoriques différentes et selon quelques exemples pratiques, j'aimerais montrer par quel chemin nos renards des longues distances doivent se diriger.

Un conte disait depuis longtemps que le pays suisse était trop "coupé" et que les conditions météorologiques étaient trop irrégulieres sur de longues distances pour pouvoir "dorer la couronne au revers". II fallait attendre la grâce du Dieu de la météo dans les plaines de France, pour qu'un petit suisse ailé, puisse couvrir les 300 km. Ce conte fut banni le 27 août 1947 par Adolphe Gehriger, avec son mémorable vol de Dällikon à Voiron (325 km).

Les sans-moteur entre Alpes et Jura n'en croyaient pas leurs yeux en constatant qu'un gars bien de chez nous, même en partant du sol suisse, avait franchi, comme premier, le mur des "300 bornes". Non seulement les vols de durée, mais aussi les longs vols de distance semblaient pouvoir se réaliser par conditions de bise. Avec son exploit, Pirate posait la première pierre pour la grande Route du Sud - Ouest.

SUD OUEST

Pirate ayant fait le chemin jusqu'à Voiron, près de Grenoble, Hans Würth, l'année suivante, avançait par mistral, en partant de Bière, jusqu'à Senas, près de la Méditerranée (325 km). Au Mont Ventoux, Würth "chopait" des ondes qu'il ne pouvait malheureusement pas utiliser, vu l'heure déjà avancée. Pendant ce vol, quelques constatations élémentaires ont été faites, qui, aujourd'hui encore, restent entièrement valables.

Premièrement, Würth eut beaucoup de peine à réaliser la liaison entre le Jura Ouest et les Préalpes. Dans la région des Préalpes, Chambéry-Crest, la vitesse de croisière élevée fut frappante.

Troisièmement, Würth eut toutes les peines du monde à pouvoir continuer son vol dans la vallée du Rhône, trop plane. Ensuite, des ondes ont été constatées dans la région du Mont Ventoux. De plus, Würth partit beaucoup trop tard, peu après 12h00, et ne put atteindre son but, à savoir, Marseille-Marignane, malgré les conditions extrêmement favorables.

Le météorologue attitré à la Cour, le Dr Eichenberger, avait mis son doigt avec emphase sur ces différents points. Malgré cela, et pour quelques années, la route du sud-ouest n'a plus été exploitée.

Il y eut bien quelques pilotes qui longèrent le Jura et Franco Legler eut, en 1949 le malheur de poser juste avant son but, près de Lyon (295 km), ceci après de grosses difficultés dans les thermiques, au cours des derniers 50 km.

La même année, Legler, réussit, au prix de grosses difficultés, l'exploit unique de 316 km, sur le parcours Birrfeld-Niesen-Muveran-Mont Blanc-Grenoble, exploit unique vu les innombrables obstacles topographiques et météorologiques.

En 1952 seulement, Alwin Kuhn a essayé la direction sud-ouest en empruntant le Jura.

Il atteignit la région de Valence après 275 km, en passant par Bellegarde puis les Préalpes et en laissant l'Isère à sa gauche. En 1953, j'ai réussi un vol à but fixé à Valence, sur un planeur Meise (308 km), avec des difficultés dans la région des Abrets-Moirans (hauteur minimum sur le sol le long d'une pente minuscule entre 30 et 50 mètres). Kurth Baumgartner atteignit le même but peu après (320 km). Pendant tous ces vols, la région entre Virieu-le-Grand - Lyon et Voiron - Valence s'est révélée très défavorable au point de vue des thermiques.

Après un certain temps, Kuhn et moi étions persuadés que la route sud-ouest devait avoir un rendement supérieur, à condition toutefois que nous puissions réaliser d'une manière élégante la liaison du Jura Ouest avec les Préalpes françaises. Avant tout, il fallait supprimer la vallée du Rhône au sud de Valence. Cette constatation fut motivée par le fait que le mistral provoque en s'avangant vers le sud, une diminution d'humidité et une augmentation de la stabilité. De ce fait, les inversions s'abaissent.

Pour toutes ces raisons et aussi vu l'orographie des Alpes Maritimes, on pouvait compter sur des ondes dans la dernière étape d'un long vol de distance, et nous étions décidés à prouver cette théorie...

DESCRIPTION DU PASSAGE JURA OUEST, PREALPES FRANCAISES

Bien qu'entre le Fort de l'Ecluse et le Mont du Chat, près du Lac du Bourget, on ne trouve, même par bonnes conditions, pas ou presque pas de nuages, l'itinéraire Mont Vuache - Mont des Princes - Montagnes du Gros Foug - Mont de la Charvaz, avec traversée de la pointe Nord du lac du Bourget - Dent du Chat, offre avec sécurité une avance à vitesse de croisière élevée, avec une altitude de vol même en dessous de 1000 m.

En 1954 j'ai réussi un vol à Challes les Eaux, 210 km, sur Sky, en 2 h 1/2, à la moyenne de 85 km/h. Sur le parcours décrit ci-dessus, je n'ai rencontré aucun nuage et me suis avancé très rapidement, à faible altitude, on utilisant le vent de pente. J'ai coulé lamentablement à Challes, à cause de l'augmentation de la stabilité. Pour ce vol, j'avais choisi un deuxième jour de bise. Complètement dégonflé et le moral plus bas que terre, je me laissai raconter par le chef moniteur que le jour précédent - notre premier Jour de bise -la stabilité avait été abondante, jusqu'au bas de la vallée du Rhône. Plusieurs aspirants C argent, avaient foncé en l heure sur Valence, en utilisant des caisses semblables au Baby, moyenne 100 km/h. Je m'arrachais les crins l'un après l'autre, parce que je n'avais pas, le jour précédent, foutu mes outils dans le stérilisateur, et j'ai juré à la barbe du Prophète, qu'à l'avenir, je partirai pour le sud-ouest le premier jour de bise.

EVITER LA VALLEE DU RHONE.

Quand Alwin Kühn, en 1953, atteignit St. Just, près d'Avignon, 348 km, il fit les mêmes expériences que Würth cinq ans auparavant. Par ciel clair, et vitesse de vent élevée (jusqu'à 100 km/h), les descentes fortes étaient dominantes au sud de Valence, tandis que les cumulus filaient rapidement en direction du sud, au-dessus des Préalpes proches.

Je déconseillerais de choisir Montélimar comme but, puisque Valence, située non loin des montages de l'Isère, est facile à atteindre. En mettant le nom de la ville du nougat sur mon barogramme, j'ai ramassé une belle barbe lors de mon premier vol pour le concours National 1955.

J'aimerais décrire d'une manière plus détaillée ce vol très instructif.

Le 15 avril fut un jour très favorable pour le vol a voile, quant aux conditions météorologiques.

Un front froid du nord-est amèna une forte bise, mistral et bonne "labilité". La base des nuages était à 1400 m (sol), à l'Ouest de la Suisse, au sud-ouest jusqu'à 2000 m. Le matin, au nord-est de Bienne, chutes de neige épaisse, l'après-midi, 10 cm, de neige fraîche jusqu'à Genève !

Peu après 11h00, j'ai décroché entre des bourrasques de neige, près de Pieterlen, avec Werner Schatzmann sur le siège avant du Kranich II. La route de nuages nous a amenés, en presque deux heures, le long des pentes sud du Jura, jusqu'à la frontière, près de Genève. Bien que nous dûmes éviter soigneusement des bourrasques de neige, les conditions étaient formidables. La vitesse de croisière était près de 80 km/h. Puis vint le trou sans nuage, entre le Fort de l'Ecluse et le lac du Bourget. Au Mont Vuache, nous avons utilisé une cheminée de 3 m/s, jusqu'au bout, et nous nous sommes laissés déplacer loin derrière la pente. Quand toutes les ressources d'ascendances furent épuisées, le Vuache était loin derrière nous et fillions à 100 km/h en direction du Mont des Princes. Nous l'avons atteint à 700 m tout au bas de la pente, et étions montés, consciencieusement, dans les ascendances dynamiques. Nous avons immédiatement suivi, en direction du Mont Foug et selon la méthode du Längenberg-Gurten, au grand galop, les 10 km de pente jusqu'au bout Nord du lac du Bourget. A un moment donné, nous avons profité d'une bulle pour traverser, en spiralant le "lée" et avons filé au-dessus de l'eau jusqu'au Mont de la Charbaz et la Dent du Chat. La liaison Jura-Préalpes fut donc assurée par bonne vitesse de croisière, 50 km/h en utilisant du vent de pente en toute sécurité, mais presque sans thermique.

Au-dessus de Chambéry-Les Echelles-St.Laurent, nous avons atteint, en utilisant des thermiques abondants (jusqu'à 5 m/s) et un vent toujours plus fort le Sl. de Naves près Moirans, d'où commença une course folle.

Le long des immenses pentes proches de l'Isère, sous la couche fermée derrière nous, nous avons laissé les 60 km suivants, ceci en 20 minutes, ce qui représentait donc 180 km/h de croisière avec ce bon vieux Kranich !!

Le siège avant manifestait son enthousiasme tant les conditions étaient formidables. La mauvaise décision fût prise près de la montagne de la Raye à proximité de Crest. Le but, Montélimar, était à côté. Nous quittions les montagnes pour piquer sur le but dans la vallée du Rhône. Nous n'avions pas prévu qu'à 5 km du but, nous serions déjà au tapis, tant les descendances étaient fortes et insistantes. Nous eûmes à peine le temps de chercher un terrain à proximité d'un village.

Pour ces 353 km, il nous a fallu 4h50, ce qui donne une moyenne de plus de 70 km/h. Une telle moyenne n'est pas étonnante, étant donné les conditions extrêmement favorables, jamais rencontrées. Malgré le plaisir de ce vol unique, nous étions un peu "grogneux" de nous trouver le derrière entre deux chaises, étant donné que nous aurions pu atteindre Marseille (450 km) les doigts dans le nez.

Le lendemain, nous avons pu lire dans le canard régional, en plus des photos habituelles et du bla-bla-bla sur deux suisses, que des français courageux avaient pu atteindre, le jour précédent, dans la région du Ventoux des altitudes de 9000m.

En juillet dernier, A. Kuhn avait indiqué Montélimar comme but. Il est également resté en difficultés après 315 km au même endroit et à regarder à 5 km près, l'aérodrome de la ville du nougat.

Les vélivoles suisses doivent être connus chez les bipèdes près de Montélimar. Ils ont demandé à Alwin s'il ne connaissait pas un dénommé Monsieur Kranich qui s'était posé trois mois plus tôt de l'autre côté du champ !! Résultat des courses: éviter la vallée du Rhône.

LES ONDES DANS LA REGION DES ALPES MARITIMES.

L'histoire des ondes dans notre théorie semblait donc se confirmer. Nous pensions qu'il était possible, peut-être un peu fantastique d'acquérir, après 400 km de distance, quelques milliers de mètres d'altitude en vol d'onde, très agréable, afin de pouvoir terminer le vol d'une façon amusante.

Cette idée fastueuse s'est donc réalisée durant mon vol à Bézier (536,2 km) que je décrirai plus tard.

J'aimerais attirer l'attention sur les vols en direction :

NORD-EST

Le moyen âge du vol à voile suisse s'est terminé en 1939 avec le vol record de Max Schachenmann sur S.18 de Oiten à Mussenhausen (240 km). Ce brillant vol représentait un triomphe, en regard de la conception qu'on s'en faisait, confirmant notre pressentiment de la route nord-est.

Depuis longtemps, les esprits des idéalistes vélivoles s'étaient tournés vers le lever du soleil, avant que les pensées tendent vers le sud-ouest.

Le record grisonnant de Max fut amélioré, seulement après la guerre, par René Conte "le Schnitz" avec 40 km de plus.

Witachi était le "Hans im glück". Il pouvait de nouveau retourner la-bas. Il courut 368 km entre Langenthal et Nürmberg par petite vitesse de vent, en partie thermique faible et accompagné par le fantôme de la descendance. Une performance formidable avec le bon vieux Spir suisse.

La grosse bagarre autour des "mines d'or" au Nord-Ouest commença en 1953. Quatre vols de plus de 300 km furent effectués dans le sud de l'Allemagne.

Le premier fut accompli par Niklaus Dubs, qui lutta du Birrfeld à Nürnberg, (305 km) en faisant penser au "Hans im glück" se défendant comme un lion. Il eut des difficultés pour passer aux Schwäbischen Alb et plus loin ce ne fut pas drôle.

Par temps nettement supérieur les trois étoiles, Tschudi, Ledermann et Kuhn partaient de Courtelary, vers fin mai. Par répartition de pression faible et grande labilité, il y eut de fortes tendances orageuses sur de longues distances. Par contre, la vitesse du vent était faible, 5 à 10 km/h. Des Cumulus géants se formèrent en abondance à partir de 10h00 du matin. L'après-midi, des cumulonimbus orageux se dressaient, rendant toute leur contenance d'eau. Les trois pilotes avaient une peine épouvantable à échapper à la colère menaçante des géants du ciel. Werner Ledermann était coincé sans grâce par les orages et se posait, en rendant l'âme, au Hornberg, chez Wolf Hirt. (245 km)

Yolanda et Alwin résistèrent au diable de la descente en faisant du P.S.V. Kuhn monta à 6000 m au-dessus de Ulm. Ils atteignirent respectivement Donauwörth (332 km) et Wolferstadt bei Nördlingen (345 km).

Kuhn, comme spécialiste des brillants ratés, avait pour la x-ième fois manqué de quelques mètres les 5000 et volé à 1000 m comme un grand garçon en direction nord-est et par-dessus son but fixé Nördlingen. Cette ville s'était cachée sous un voile de brume, comme une jeune fille pudique sous l'aile gauche du Meise !

Un vol typique derrière un front fut effectué à fin août par Bernhard Muller de Bienne à Ingolstadt (342 km). Il prouva, comme Pirate 6 ans auparavant que, avant la fermeture des portes, on pouvait faire du bon boulot. Les conditions météorologiques de Béni étaient sensiblement différentes de celles décrites ci-dessus, en ce sens que, la veille, un front froid avait traversé notre pays en direction de l'Est. A l'arrière de ce front, de l'air froid instable coula du Nord-Ouest vers le centre de l'Europe. Les bons thermiques et une vitesse de vent relativement élevée créèrent un temps idéal pour la distance, mais les pièges qui font "dégueuler" sous forme d'averses locales, étaient de plus en plus nombreux au fur et à mesure que Béni rattrapait le front froid; plus spécialement dans la dernière partie du vol, le vent latéral du Nord-Ouest se faisait sentir d'une manière désagréable.

1954, l'année des gilets de sauvetage est encore vivante dans nos esprits.

La colère de St. Pierre ne permit donc pas d'effectuer quelque chose de sérieux dans la direction nord-est.

En 1955, Nikiaus Dubs était le premier des oiseaux qui ne put résister à l'envie d'émigrer à l'étranger.

Son vol s'est révélé malchancheux puisqu'il atteignit son but, la Wasserkuppe, quelques mètres trop bas, pour lui permettre d'atterrir sur l'aérodrome.

Puis vint l'Ascension, le jeudi 19 mai. Les conditions météorologiques de ce jour étaient attendues avec impatience par Louis Neukom et moi-même. Une cuvette de basse pression s'étendait du sud de la Norvège jusque loin au Nord. Les isobares se serraient étroitement et tournaient régulièrement autour du noyau. Au bord sud de cette baignoire se trouvait la Suisse, et le front froid qui avait, ce certain matin, passé la Tchécoslovaquie n'était suivi d'aucun autre front secondaire. Les vents soufflaient assez fort du secteur Ouest (50 km/h. à 5000 m) La labilité était bonne, l'isotherme zéro situé à 1000m. On pouvait s'attendre à de nombreuses averses locales et à une couche de nuages pas tout à fait fermée. En partant à 9h00, on pouvait décrocher au Jura.

C'est ainsi que la météo de Kloten nous esquissait les prévisions pour le lendemain. Notre décision fut prise à 5h00 du matin et dans de telles conditions nous aurions remué ciel et terre.

Mais avant tout, il fallait préparer à l'aube les trois ballons de Werner Ledermann pour le départ sur l'Allmend bernoise; comme le remplissage de la "pétufle" du ballon n'était pas assez intéressante pour la "gente moteur", les vélivoles durent tirer la ficelle, c'est-à-dire, une fois de plus, les idéalistes les sortaient de la "gonfle" et contribuaient grandement à la réussite de la journée des ballons libres de l'Aéro-club bernois. Au moment où j'ai laissé entendre que je voulais effectuer un vol de distance, tous me regardèrent de travers, à cause du temps de chien qu'il faisait. Il soufflait assez fort, la base des nuages était à peine à 500 m et il faisait un froid de canard. Dans mon for intérieur je me marrais, sachant que je ne pouvais tenir compte de la météo, et en pensant que, en Angleterre, il y avait eu des conditions encore moins engageantes.

A 7h30, je disparaissais des lieux et je laissais les ballons, tirant à leurs attaches, comme chèvre à un pieux.

Sur quoi, Louis et moi, vidions tout seuls les hangars et nous arrachions les bras pour mettre les machines en place, l'une à côté de l'autre. A bout de souffle, nous avions commencé la paperasserie, nous avions couru à droite et à gauche pour liquider l'administration et enfin, nous étions installés dans nos caisses, complètement épuisés. Il était presque 10 h. Nous aurions bien voulu que le Stinson tende les cordes avant 9 h, mais Willy Sägesser mit plein gaz seulement vers 10 h, d'où une heure de retard au départ.

Déjà peu après le départ, il y avait des remous formidables, à 200 m le vario indiquait + 5m/s, sur de longs trajets et nous avions passé les ballons de Ledermann, à une altitude respectable, et ceci après un petit tour de piste. Nous avons battu des ailes comme des fous et nous observions, avec un sourire confiant et enchanté, la danse du vario qui dëpassait, assez souvent, la marque des 4 m. Ainsi, nous nous sommes approchés du Jura.

Tout à coup, le comportement du Meise, à côté de moi, a retenu mon attention. Louis ne rigolait plus et ne me regardait plus. Sa tête frisée à lunettes, disparaissait pour de longs moments, dans les intestins du Meise, qui faisait des fantaisies comiques, tantôt à gauche, tantôt en haut ou en bas, juste devant mon nez. Ce comportement peu banal s'est éclairci plus tard: l'indicateur de virage de Louis avait perdu la connexion avec le venturi et le pauvre essayait vainement de remettre le tuyau désobéissant à sa place, et il devait remplacer l'indication du pinceau par une attention "au fixe", pendant tout le vol.

Il était prévu de décrocher dans la région du Taubenlochschlucht, loin du point "of no return", c'est à dire à l'endroit où l'on ne peut plus rentrer au Belpmoos, en cas d'échec. Cette méthode de départ est reconnue d'utilité publique, mais cette fois-ci, ainsi que toujours, elle provoqua une certaine tension nerveuse. Cependant, jusqu'à ce moment-la, je ne m'en faisais pas. La partie sérieuse allait commencer après le décrochage. Bientôt, nous y étions. A 10h25, je décrochais. Louis me suivait et en carrousel, nous montions à 3 m/s jusqu'à la base des nuages. A pleins tubes, je quittais la région par-dessus le Monthoz, regardant d'un oeil critique Louis qui essayait la même chose, un peu plus bas. Pendant que j'arrivais sans peine, dans la vallée de la Birse, Louis devait rentrer et disparaissait définitivement de ma vue. J'avançais rapidement en direction de Bâle, passais le Rhin encore avant midi, près de Säckingen, et j'attaquais la morne Forêt Noire. Les cumulus étaient à 4/8. Après le trou traditionnel au-dessus de la rivière, il y avait 8/8, avec averses locales, jusqu'à Donaueschingen. En les détournant soigneusement, je pouvais utiliser, sous la couche fermée, les bons thermiques. Une fois, je montais à 2500 m et quittais, à 6 m/s l'ascendance, en direction nord-est, à cause du givrage. Je ne voulais pas diminuer les qualités du Sky, sans nécessité. Après Donaueschingen, je suivais le Danube tout en évitant soigneusement les zones de pluie. Envolant en zig-zag, avec une vitesse de croisière de 70 à 80 km/h, je me trouvais dans une cage à rats, près de Herbertingen. A 150 m, j'étais à proximité immédiate de la pluie qui tombait "à ficelles", tout autour, et je spiralais désespérément sur une tache de soleil, de la grandeur d'un mouchoir de poche, avec des indications de 0 au vario. Je contemplais la petite ville charmante au-dessous de moi et expertisais les dents carieuses des badauds qui me regardaient. Le vent me poussait dans les régions sauvages et il y avait toujours des gouttes de pluie qui tombaient sur le capot, et seulement, tout doucement, je pouvais me sauver des signes précurseurs de l'atterrissage. Je transpirais ferme pendant un quart d'heure et parlais de choses qui, normalement, sont soumises à la censure.

L'altitude était toujours la même, mais les trous de soleil semblaient se multiplier un peu. En sautant au prochain, j'y trouvais quand même 20 cm/s de montée. Après 10 minutes, j'étais à 200 m et pouvais me permettre de loucher sur un tuyau meilleur. Celui-ci s'avérait d'abord un peu faible mais il me sortait du piège avec 2 m/s de montée, jusqu'à la base de 1800 m. Ce numéro de cirque me coûta un temps précieux pour ma vitesse de croisière, mais l'essentiel pour le moment était d'être en l'air. Je me demandais tout à coup si mon avance, peut-être trop rapide, m'avait mis le bâton dans les roues et je zigzaguais de manière plus prudente entre les chutes de pluie. Ulm passait à une altitude majestueuse, je me coinçais à gauche de l'autostrade qui se dirige en direction de Munich à travers la campagne. Avec plaisir, je regardais le jeu des petits scarabés qui se dépassaient le plus vite possible.

Je commençais à calculer qu'il m'était possible d'atteindre mon but Augsburg en vol plané. Il était maintenant 2h30. Il m'avait donc fallu à peine 4h30 pour couvrir les 308 km, ce qui représentait une vitesse de croisière d'environ 65 à 70 km/h. Si cela pouvait continuer ainsi jusqu'à 18 heures, je serais le plus heureux des hommes. De l'autre côté du Lech, les conditions semblaient bonnes, les ombres des nuages pédalaient à vitesse inchangée vers l'est et la densité des zones de pluie avait diminué sensiblement. Je laissais donc Augsburg 20 km au sud et sautais sur le Lech.

Pour la première fois, je me réjouissais à l'idée des 500 km. A peine traversée, une autre misère commença. Au-dessous de cette large route de nuages - à gauche et à droite il n'y avait rien pour le moment - je descendais gentiment mais régulièrement avec zéro et une descente faible. Je devais spiraler et pouvais, avec ce procédé, allonger ma descente inexorable. A deux cents mètres du sol, l'exercice avec zéro et faible montée recommençait, et sur une région où il y avait une maison et demie par km²: il y aurait eu du sport après l'atterrissage. Dans ces conditions-là, il fallait absolument que je sorte, (description détaillée ci-dessus). J'arrivais bientôt au bout de cette route de nuages trompeurs. Je me balladais à 2500 m en direction d'est et devais malheureusement constater avec regrets que c'était certainement pour la dernière fois que je planais à une altitude aristocratique car l'horizon devant moi était complètement bouché du Nord extérieur jusqu'au sud. Le long de cette barrière, à perte de vue, il y avait une pluie désespérante, et loin en dessous de moi, des fragments de brouillard baignaient dans la lumière du soleil. Là je ne pouvais plus y échapper et il ne me restait qu'à effectuer un long vol plané. Je passais les derniers 50 km aussi calmes que dans une église et atterris tout près de Lanzhut vers Isar à 16 h 20. J'avais parcouru les 403 km en 6 heures à une vitesse de croisière de 67 km/h. Les 500 km étaient donc à proximité immédiate. Si seulement ce rouleau ne m'avait pas barré le parcours.....

Le chercheur de diamants Louis s'était également posé 20 minutes après 4. heures, ceci sur l'aérodrome indiqué Augsburg (308 km). Son vol sur Meise avec 51 km/h de vitesse moyenne sans le moindre PSV était un beau trophée. Son itinéraire l'amena le long des pieds sud du Jura, par-dessus Granges-Soleure-Waldshut-et l'aérodrome Schmerlat où son frère, avec ses compagnons découvrirent le petit. Louis fit d'innombrables prouesses pour éviter de se faire "dégueuler" et se bagarra jusqu'à Augsburg, étonné d'avoir réussi cette aventure malgré tous les obstacles. Ensuite, Louis vécut une jolie petite anecdote. L'optimiste millénnaire, l'opérateur de Présence Berna qui lui-même est un vélivole passionné, reçut Louis en le photographiant et lui raconta qu'il venait d'arriver en voiture de Munich. C'est là-bas qu'il avait entendu par hasard, au bureau de vol, que deux vélivoles bernois avaient l'intention d'aller à Augsburg et il était parti tout de suite dans l'espoir qu'au moins un des deux réussirait à y arriver. Quelle confiance en dieu ! Louis et moi, pouvions donc être très contents et avions chacun notre plaisir personnel en rentrant. Gundi Amann eut moins de chance. Il fut coincé le même jour entre les averses de pluie près d'Ulm (180 km). Un autre, le même soir, eut une rogne épouvantable : c'était Alvin Kuhn.

Il était venu faire sa petite visite habituelle du dimanche aux bernois et en écoutant les dernières nouvelles il s'arrachait les crins. Il partit le vendredi, bien que les météorologues à Kloten prévoyaient des conditions moins favorables à celles du jour précédent et atteignit son but Donauwörth. (362 km sur Moswey III). Ce fut une dure bagarre, mais avec ce résultat, Alwin pouvait à nouveau se recoiffer.

L 'ENSEIGNEMENT

Si nous additionnons toutes ces performances séparées et que nous passons ce mélange dans une presse à cidre, nous obtenons un concentré qui permet aux vélivoles suisses d'y goûter. La partie principale de ce concentré est formée naturellement par la météo.

Tandis que pour le sud-ouest, une situation de bise est indiscutable, il existe deux situations avantageuses qui se présentent pour le nord-est. D'abord le temps classique d'arrière front comme il s'était développé d'une manière idéale le 19 mai 1953 et autrement, une situation orageuse. On peut naturellement ajouter toutes sortes de variations à ce point de vue. Mais l'essentiel subsistera.

SITUATION DE BISE

Au printemps et au début de l'été, les masses d'air froid pénètrent efficacement en amenant dans notre région des thermiques du nord-est. Elles coulent à vitesse croissante à travers la vallée inférieure du Rhône en direction de la Méditerranée. Un point essentiel est à remarquer : c'est l'exsiccation qui commence au sud-ouest et se déplace progressivement en direction du nord-est. Elle existe déjà dans la vallée inférieure du Rhône pendant notre premier jour de bise et se renforce sensiblement déjà le lendemain, tandis que dans nos régions, la base des nuages est plus élevée que la veille, le troisième jour, l'exsication domine également dans nos régions où il n'y a presque plus de cumulus pendant que dans la vallée du Rhône une stabilité absolue domine. Ce mouvement est parallèle à une baisse régulière de l'inversion, ce qui commence également au sud-ouest et continue lentement vers le nord-est.

De ce fait, il est absolument nécessaire que les vols au sud-ouest commencent le premier jour de bise, chez nous, ceci malgré la base des nuages peu élevée au Jura

Bien que le subconscient de l'individu n'apprécie pas ce genre de vol - à la cave - le fait d'être coincé entre une couche basse et une topographie haute pendant les premiers 100 km du parcours, il faut y aller.

Si nous voulons aller au pays des merveilles, il n'existe pas d'autre possibilité que de manger de la vache enragée au début du vol, mais la tâche est facilitée pour le bon tacticien vu que les thermiques favorables l'aident.

L'endroit de décrochage se trouve de préférence au moyen-Jura (Bienne-Taubenlochschlucht-Chasseral). Il se peut que le premier jour de bise en Suisse romande où par des conditions de mistral typique, le vent du Nord-Ouest souffle encore vaguement au nord-est du Jura. Le Birrfeld par exemple, serait un point de départ défavorable pour la direction sud-ouest (c'était la situation typique lors du vol de Würth, de Bière à Salon), où il se peut que les nuages de neige amenés par la bise se déchargent sur la partie est de la Suisse, ce qui rend impossible un départ aux environs de Zurich, tandis qu'on peut déjà partir au moyen-Jura, exemple: mon vol sur Kranich du 15.4.55.

Il est intéressant de constater pendant cette situation de bise que les conditions s'améliorent à mesure que le vol s'étend au sud-ouest. La vitesse de croisière augmente incroyablement la possibilité d'attraper des ondes à des centaines de km du point de départ : cette possibilité nous attend avec 80% de sécurité. En choisissant la situation idéale, le vol peut continuer jusqu'au crépuscule, chose impossible sur la route nord-est,

LA SITUATION DU VENT D'OUEST

Par répartition faible de la pression, donc par tendance orageuse, il est possible d'effectuer des vols au nord-est jusqu'à une distance de 350 km et avec une machine rapide éventuellement jusqu'à 400 km. Le thermique est normalement très bon, mais les vitesses de vent extrêmement faibles, et l'on progresse relativement lentement. Si la tendance a la formation d'orages est forte, on trouve, spécialement l'après-midi, des obstacles en forme d'orages locaux, qui ont une tendance marquante pour la formation de stratus, ce qui oblige le pilote à zigzaguer. De ce fait, l'évolution thermique peut être freinée, déjà l'après-midi, et les atterrissages ont lieu assez souvent vers 16 ou 17h00, au plus tard 18h00. Les difficultés de vol augmentent proportionnellement à la distance parcourue. Lors des vols dans le temps d'arrière-front, les vitesses de vent et la labilité sont bonnes. Il est important de trouver le moment propice pour le départ. D'une part, on ne peut pas partir trop vite après le passage d'un front, à défaut de quoi on se trouvera rapidement dans la pluie derrière le front, tandis que, d'autre part, les possibilités pour le vol à voile s'arrêtent à un certain moment et les départs tardifs laissent échapperles beaux projets à l'Est.

24 à 36 heures après le passage du front, un départ pourra être réalisé. Les masses d'air instable derrière le front froid, ressemblent à un cheval de course au galop. Il faut l'atteindre à la queue au moment exact, sauter sur le train arrière, et se glisser délicatement sur le dos, vers l'avant. Il portera son cavalier rapidement vers des endroits lointains. Mais le petit cavalier doit être prudent, car le pur-sang a des sautes d'humeur et essaye de désarçonner le vaurien. Les chutes de pluie peuvent, en principe, s'intensifier au fur et à mesure que l'on se rapproche du front et, effectivement, obliger à atterrir. Le mouvement thermique très intense peut également boucher le ciel avec des strato-cumulus et empêcher le rayonnement solaire.

En s'approchant du front froid, on sent les difficultés aller en augmentant et l'on se rend compte que la bagarre devient toujours plus dure vers le soir et que le vol doit se terminer vers 18h au plus tard.

Tout le Jura se prête comme point de départ. Le moment de départ peut se situer entre 9 et 10 h en tenant compte de la situation de la bise. Il est nécessaire de se faire remorquer au Jura et d'y partir dans de bonnes conditions à une heure ou celles-ci ne sont pas encore favorables en plaine.

Un autre enseignement élémentaire sort de la presse à cidre : une attention constante pour la météo. Un renard avide de distance, qui n'a pas continuellement sorti des antennes de météo, loupe certainement les meilleures occasions. La situation de bise spécialement, surprend par un développement subit. Pour les vols en direction nord-est, on a davantage de temps à disposition pour les préparations de vol.

J'ai développé personnellement un petit système qui a fait ses preuves. J'écoute, trois fois par jour, à la radio, les opinions de la Centrale météorologique. Si quelque chose d'utile sort du poste, je compare ces données avec le point de vue des PTT par le numéro 161. Cette gentille voix féminine, encore endormie au premier bulletin, nous raconte différentes choses intéressantes aux second et quatrième bulletins, spécialement sous la rubrique "Prévisions pour les heures suivantes".

Si cette Centrale et la radio prévoient un temps "du tonnerre" pour le lendemain, je téléphone le même soir à la station de météo de Kloten. Sur ces renseignements, je prends une pré-décision pour le lendemain. Toutes les préparations se font à l'aérodrome. Après cela, je dors plus ou moins bien, parfois, je fais des rêves un peu bizarres. A 7 heures du matin, j'écoute à nouveau les prévisions du temps, et à 7h30, je relance pour la seconde fois, la météo de Kloten. Je prends alors la décision définitive et ne reviens plus en arrière. Il faut suivre avec énergie le programme ou, autrement, je passe sans arrière pensée, au travail habituel. Les météorologues de Kloten sont des champions et nous pouvons leur faire confiance sur les renseignements donnés. En plus de toutes les connaissances concernant le vol a voile, il faut remarquer leur bonne volonté de collaboration, pour laquelle tous les vélivoles doivent les remercier. Sans leur aide, les grandes performances en planeur, ne seraient pas du tout réalisables. L'étude journalière de la carte météo est, au fond, très instructive, mais elle peut l'être dans très peu de cas pour la journée, car nous la recevons trop tard. C'est pourquoi les indications complètes des météorologues de Kloten sont d'une importance fondamentale. Ils ont droit à la couronne.

Avec cet " Intelligence Service ", j'ai eu un succès éclatant lors du concours national 1955. Chaque fois que les hommes de Kloten me conseillaient le départ, j'ai réussi. Aucune fois, je n'ai dû me poser ailleurs qu'aux endroits prévus. Ce qui compensait entièrement la facture du téléphone un peu élevée, et ce qui prouve le rendement étonnant de ce système.

On pourrait, maintenant, dans ce concentré de cidre, chercher la route la plus avantageuse. Si l'on tient compte des temps d'atterrissages estimés, la route sud-ouest est plus avantageuse. Le fait que les conditions s'améliorent continuellement lors du vol direction sud-ouest, pendant qu'elles s'amoindrissent sur la route nord-est, donne un atout de plus à la route du sud. La navigation lors du vol sud-ouest est beaucoup plus simple, spécialement pour un vol à but fixé de 300 km, malgré le début du vol au ras des marguerites. La limits de distance pourrait se situer à 500 km environ au nord-est, tandis qu'il semble possible de faire des vols jusqu'à 700 km au sud-ouest, ceci en tout cas pour les régions de départ au moyen Jura (Taubenlochschlucht-Chasseral).

Si jamais un tout malin pouvait arriver à passer une nuit le long d'une pente dans les ascendances mécaniques, loin du point de départ, il pourrait rallonger le lendemain, son vol loin au nord-est. Pour la région de décrochage du nord-est du Jura, les chances seront égales sur les deux routes avec une distance prévue de 400 à 500 km.

II faut encore dire que, grâce au développement météorologique, les possibilités pour les vols direction nord-est, sont plus fréquentes que les conditions de bise avec mistral, et que l'on ne doit pas seulement souhaiter le vol des 500 km au sud-ouest, mais qu'il faut également aller voir en détails le nord-est.

Comme point final, et comme témoin principal de toutes ces narrations, je vais décrire mon vol à Béziers, de manière plus détaillée,

536.2 km.

Sous ce beau titre, j'aimerais tout de suite raconter ce qui s'est passé la veille du 6 juillet 1955, et ce qui a entraîné les suites si fâcheuses de mon vol. Une partie de "panosses" auprès d'un vieux collègue d'études, réunissait petits bourgeois et bourgeoises, afin de raviver les histoires du temps passé. J'avais déjà constaté, selon les PTT et la Centrale météorologique que, le lendemain, il pourrait se passer quelque chose et je fus assez prudent en buvant certains liquides... Mais on ne pouvait pas faire autrement, et la politesse demandait les 3 verres réglementaires. Juste avant minuit, j'étais dans les bras de Morphée, non sans avoir contrôlé le développement du temps auprès des spécialistes de Kloten. Je dormis du sommeil du Juste, et le lendemain, l'organisation commença à jouer normalement: La météo prévoyait un vont du nord-ouest en Suisse Orientale avec pluie, vent du Nord avec cumulus de beau temps pour la Suisse Romande et le mistral pour la vallée du Rhône (35 à 40 noeuds au Mont Ventoux). La base des nuages ne serait pas supérieure a 1400 m, la labilité moyenne et les thermiques pas du tout débordants. La carte d'altitude serait très favorable pour le vent du Nord dans la vallée du Rhône inférieure, et si jamais on pouvait y arriver, les maigres conditions de la première partie du vol seraient largement compensées par une vitesse de croisière plus élevée.

J'hésitais un peu et faisais la grimace, d'une part à cause du vent du Nord faible, et d'autre part, parce que je n'étais pas tout à fait au point.. ?? Je jetais furtivement un coup d'oeil à la veille et me plongeais dans les préparatifs. Il fallait indiquer un but. Montélimar était hors de question, et si jamais je pouvais atteindre Valence, il était également possible d'arriver au Mont Ventoux d'où je pouvais atteindre Salon de Provence en vol plané. J'inscrivais donc Salon de Provence, 420 km, sur le papier parcheminé bleu. Je n'y pensais pas moi-même, mais il est d'usage de préciser un but.

La guerre du papier, les visages ironiques et le départ. Devant mol, le Stinson avec Fritz Pfeuti, un tour de piste puis direction Jura!

Le remorquage ne fut pas spécialement calme, mais au contraire, assez agité, et même un sentiment presque désagréable s'accentuait du côté de l'estomac. De quoi ces différentes boissons étaient-elles donc composées ? de vin blanc, mélangé à du Champagne, de belles cerises rouges, de pâles fraises des bois, de petits bouts d'ananas d'un jaune comique et Dieu sait encore quoi... Quelle horreur ! Le gâteau aux fraises de Béni Muller me passait par la tête et les glandes salivaires commencèrent leur surproduction en me donnant l'eau à la bouche ! Les secousses aux ailes étaient de moins en moins les bienvenues et mon Fritz qui ne s'en doutait pas, mettait du charbon tant qu'il pouvait. J'étais sur le point de dég... mais il n'y avait plus de retour. Le "point of no return" était loin derrière nous et je m'en suis remis au destin. Il fallait résister. C'est ainsi que Fritzli tirait un tas de misères au bras est du Chasseral. Pour comble de malheur, pendant longtemps nous n'avons rien trouvé qui puisse ressembler à une ascendance. Mais enfin, en vue de Courtelary, j'ai décroché vers 10 h dans une petite bulle, mais je ne pouvais même pas tenir l'altitude. Fritz spiralait deux ou trois fois autour de moi, mais regardait d'un oeil sceptique et se tirait. Je passais, un peu découragé, et toujours avec la salive au ras des lèvres, le long du Chasseral, et louchais la base des nuages au-dessus de moi. La montagne cachait son sommet dans les nuages et les ombres de ceux-ci avançaient assez lentement pour m'énerver, du Nord au sud, à une vitesse de 10 km/h au plus. Au-dessous de moi, il y avait l'aérodrome qui me rappelait de beaux souvenirs et il fallait beaucoup d'énergie pour ne pas tirer les volets et arrêter cette misère.

Pendant une demi-heure, je luttais énergiquement contre cette tentation, jusqu'à ce que, vers St. Imier, mon variomètre monte de l m/s. Mon Sky montait pour la première fois jusqu'à l'altitude de décrochage et même jusqu'à la base à l400 m. Je m'essuyais le front et tâtais en avant, en direction Vue des Alpes, en ignorant ce qui se passait dans la région de l'estomac. Le jeu entre le paysage et la base était inconfortablement restreint (500 à 600 m), mais par contre le thermique semblait s'activer un petit peu et je pouvais compter avec une montée d'un demi-mètre au-dessous de chaque nuage.

Jusqu'à la Vue des Alpes, il me fallait une heure entière. Il me semblait plus que mystérieux que je puisse arriver à Salon avec cette moyenne de 30 km/h. Je pensais avec résignation au temps formidable que j'avais eu le 15 avril. Et de nouveau un aérodrome là-bas m'invitait... Planeyse. Là-bas, il y avait Alwin bricolant dans ses moteurs et je pensais combien ce serait agréable de discuter de tout et de rien avec lui... J'étais attiré comme par un Sandow par les bons Neuchâtelois. Mais avant, je voulais encore essayer comment cela irait au Creux du Vent. Très lentement, je passais le long de la Racine, mais toujours par thermiques maigres. L'ascendance moyenne était autour de 50 cm. Il fallait une demi-heure de bagarre, jusqu'à ce que le drapeau suisse flotte joyeusement au Creux du Vent, en indiquant par cela, quelque chose de mieux.

Entre temps. II était 11h30 et j'attendais des ascendances un peu plus fortes. Le drapeau se dirigeait directement vers le sud, les pentes dans la vallée de l'Areuse avalent certainement quelque chose à offrir. Et c'était effectivement le cas. Pour la première fols le vario grimpait à plus de 2 m/s, je me réveillais, et utilisais, comme les vieux, la montée jusqu'à la dernière goutte de sang. A 1600 m, l'altitude maximum jusqu'à présent, je me dirigeais au Chasseron, où, du côté Nord, un puissant ascenseur de 4 m/s montait à 1800 m en suivant les Aiguilles de Baulmes. J'arrivais, plein d'espoir, au Mont Suchet. Là-bas, je luttais un certain temps avec zéro, en dessous des nuages qui avaient bon aspect, mais malgré mes peines, j'étais désolé. Je filais en direction de Vallorbe. Mais au lieu de trouver quelques thermiques, le peu d'altitude se réduisit visiblement jusqu'au moment où je me trouvais à 200 m, au-dessus de Vallorbe. Il fallait qu'il se passe quelque chose dans les prochaines secondes pour pouvoir me sortir de cette cuvette inhospitalière. Soudain, mon Sky reçut un coup de 4 G et mon estomac se retourna trois fois, j'exécutais un saut à la perche par-dessus l'aile gauche et essayais de centrer. L'indication était de 3 m/s de montée, bien que l'aiguille fasse la folle. A chaque tour, j'étais secoué 7 fois et ma langue devenait de plus en plus épaisse. La sueur froide me passait de nouveau sur le visage, les glandes salivaires fonctionnaient plus que jamais et le sac (pour malades de l'air) qui était prévu pour d'autres usages, était prêt pour l'utilisation. Le Destin voulait me retenir dans ma dég... Comme seul soulagement. II ne me restait plus qu'à crier des Injures contre ces fameuses boissons. Je luttais jusqu'à 1800 m.

En partant en direction du Lac de Joux, je regrettais infiniment de ne pas pouvoir lancer un sac plein dans cette poêle antipathique de Vallorbe. Mais cette cure avait quand même quelque chose de bon, parce que déjà, je me portais beaucoup mieux, et je n'avais plus de difficultés avec mes histoires internes. La route continuait maintenant du Nord du Lac de Joux-au sud du lac, il n'y a pas un seul nuage - dans une légère courbe au-dessus du Brassus-St.Cergues vers la Dôle où je grimpais en peu de temps, à 1800 m. J'avançais vers le mont Colomby - de- Gex. Je pensais que le vent du Nord s'était suffisamment canalisé en bise (comme c'est assez souvent le cas en Suisse Romande), et que je pouvais trouver des ascendances de pente, au sud-est de cette montagne. Je pouvais, ensuite, avec certains imprévus thermiques, fraiser vers le Crêt de la Neige et au Fort de l'Ecluse. Mais c'était tout faux. J'avais parié sur le mauvais cheval.

Du côté Nord-Ouest, les ascendances se manifestaient sans servir à quelque chose et le Jura me vidait. Je me balançais au-dessus de la plaine genevoise, je regardais en arrière et avais l'impression d'être refoulé, comme Jonas de sa baleine, du Jura vers la Plaine. Quelle était la faute ? Je ne volais pas exactement sur la crête du mont Colomby. Sans cela, j'aurais tout de suite pu me placer du bon côté de la pente. C'était simple comme bonjour, et je devais bien me mettre ça dans la tête. Mais en attendant, je me balançais toujours. Une cheminée laissait souffler sa fumée en direction du Mont Vuache. A tout petits pas, je longeais Cointrin en limant soigneusement la moindre petite particule de thermique; je devais absolument atteindre ce mont Vuache. Lentement, mais régulièrement, je descendais, et une fois de plus la situation s'aggravait; par endroits, je gagnais, en trichant, 50 m. Une autre fois, je me laissais déporter avec zéro au vario et je gagnais 200 m, près de Chancy. J'étais décidé à piquer directement sur le Mont Vuache. Le sol, mais également la montagne salvatrice, se rapprochaient, avec aussi l'espoir de gripper. Du point de vue météo et topographique, je devais monter, mais on ne peut jamais savoir. Tendu comlme la patte d'une sauterelle qui s'apprête àbondir, je fonçais perpendiculairement à la pente; Encore 650 m, et, effectivement, à l'approche de la pente, je commençais à monter tranquillement et progressivement, le vario indiquait jusqu'à 4 m/s et rapidement la grande montagne perdait son format. Avec reconnaissance, je regardais encore ses larges épaules et me cachais ensuite dans la casquette de camouflage au-dessus de moi. Sitôt que l'aiguille retournait vers zéro, je filais en direction sud-ouest. En planant dans la lumière claire, je trouvais le temps de me réorganiser un petit peu. Le barographe était toujours en marche, la pression d'oxygène constamment au maximum, le masque et les connexions en ordre, la carte des Alpes Maritimes était prête et le pique-nique à sa place. Un sac s'est rempli discrètement avec quelques peines, parce qu'il faisait tellement froid.

Le contrôle de la pendule m'indiquait déjà un voyage de presque 4 heures et je n'avais pas encore effectué la moitié de la distance prévue. Comparé au vol du 15 avril, c'était très décourageant, mais j'espérais que la vitesse de croisière augmenterait encore et sommes toutes, c'était assez tôt pour atteindre le Mont Ventoux vers 19 h. 30 pour pouvoir atterrir à Salon. Pour arriver à cette montagne mystérieuse, j'avais donc plus que 5h30 à disposition et même avec une vitesse de crosière de 40 à 45 km/h, c'était faisable malgré les conditions misérables. La chance de passer subsistait encore et je commençais même à y croire un peu.

Je survolais le Mont des Princes à environ 300 m et continuais vers la montagne du Gros Foug où je descendais gentiment sur la crête, mais, averti par les expériences du Mont Colomby de Gex, je fis bien attention de me placer du bon côté de la pente. Et effectivement, pendant que je transformais les ascendances en distance, en suivant directement la crête, je constatais que ce n'était pas le côté bise, mais les descentes raides de l'Ouest qui amenaient les ascendances. On constate une fois de plus que "l'argent n'a pas d'odeur"; ensuite, je traversais le lac du Bourget et essayais de nouveau les deux pentes de la montagne de la Charvaz, et de nouveau c'était la pente Ouest qui portait, c'était également la même chose à la Dent du Chat. La base des nuages était de nouveau à 1000 m. La Dent du Chat cachait sa pointe. Sur un rebord de rocher, peu sous le brouillard, un petit groupe de Soeurs de Charité me regardait. Je passais tout près et leur faisais signe. Quand je me retournais afin de répéter ce jeu, le brouillard avait déjà avalé le rocher et quelques gouttes de pluie tapaient contre le capot. La base descendait donc encore davantage, cela ne me plaisait pas du tout; je passais en crochet autour de la Dent du Chat et filais en direction de Chambéry.

Au sud de Chambéry se trouve le mont Outheran, il est pourvu de deux prolongements vers le Nord qui embrassent et protègent la ville. Dans la cuvette, la bise est forcée de monter vers les sommets; il fallait absolument que j'y arrive bien que toutes ces chaînes de montagnes aient tiré les rideaux, que la base fut horriblement basse et qu'il y eut à peine un rayon de soleil à travers ce gris sombre. C'était la seule possibilité de continuer le vol. Quand j'arrivai dans la cuvette, l'altimètre indiquait encore une fois 700 m. Les 150 atm. d'oxygène me paraissaient ironiques pour la 36ème fois, et les souvenirs douteux, en regardant Challes-les-Eaux. Mais après quelques recherches, je fus secoué vers le haut, mais peu après, la base à 1300 m ne me permettait plus de monter davantage et je dus passer autour des pentes boisées à l'Ouest du mont Outheran pour arriver aux Echelles, par le col de Coux. Jamais je n'oublierai ce col de Coux !!

A gauche et à droite, les forêts au long des pentes étaient saturées de brouillard et j'avais l'impression qu'il y avait des câbles invisibles. De plus, tout le corridor, d'une longueur de 10 km, était baigné dans une lumière grisâtre par une couche de nuages uniformément fermée. C'est par ici que je rampais. Je pouvais me permettre cette technique du tuyau de ciment, du fait que je connaissais la région, ayant l'expérience des vols précédents et me souvenant de la facilité avec laquelle j'étais passé. Aux Echelles, la couche était fermée, de teinte gris-foncé, mais était maintenant à 1400 m et, oh merveille ! Partout une faible montée de 20 à 30 cm/s seulement, mais suffisante pour maintenir le cap 210 à 1380 m, à la vitesse de 90 à 100 km/h. De temps en temps, je devais rappeler à l'ordre mon variomètre désobéissant en augmentant la vitesse à 130 km/h. C'était vraiment un sport très amusant de tenir constamment l'altimètre de précision à l380 m.

A 15h00 je survolais Voiron, passais au Sl. de Naves qui était bouché. Vers St. Jean en Royans je volais ainsi pendant 50 km sans une seule spirale, simplement en tirant plus ou moins. Tout le long de l'Isère, l'impression était unique comme sous l'avant-toit sombre d'une longue maison; pendant que, 10 km à l'Ouest, le soleil illuminait les champs verts. Ce genre de vol était vraiment calmant. Un feu dans la campagne envoyait d'immenses volutes de fumée vers le sud. En comparant avec le paysage, j'estimais à quelle vitesse aurait dû pédaler un cycliste pour suivre la fumée. Il aurait certainement fallu un Coppi en pleine forme. La vitesse du vent pouvait être de 50 km/h environ. Cet anémomètre de campagne m'était très utile parce qu'il était impossible de suivre les fragments de nuages chassés par le vent. Il semblait donc, qu'après la traversée du tuyau en ciment, j'étais du bon côté de la montagne; la vitesse du vent avait quadruplé depuis le début du vol, la vitesse de croisière avait augmenté rapidement, spécialement durant cette partie humoristique à l380m et si le diable ne s'approchait pas à grands pas, il devait être possible d'atteindre Valence qui se trouvait à 40 km. Ce serait déjà une belle performance et le moral remontait gentiment.

A 15h45, je touchais de loin Valence, à l'altitude de l500 m. La base des nuages montait encore un peu, le soleil brillait gentiment entre les nuages et je filais à plus de 100 km/h vers le sud. De temps à autres, je devais me défendre légèrement contre la descente, mais ce n'était qu'un jeu d'enfant, comparé aux bagarres qui précédèrent le tuyau en ciment. Pierre-Chauve-La-Raye ! C'est ici que, avec Werner Schatzmann, nous avions bifurqué à droite en nous laissant attirer par Montélimar, mais cette fois, je me tenais à gauche, au-dessus de la région légèrement descendante de la vallée de Drôme, au sud de laquelle s'étend une chaîne de montagnes de l'Ouest à l'Est. Cette longue pente s'oppose à des vents du Nord pour les transformer en ascendances mécaniques de dimensions gigantesques ceci de Crest jusqu'à, la Roche Courbe. J'arrivais à cette pente de 30 km de long à l'altitude de 700 m près du Pas de Lauzan, après avoir traversé la vallée sauvage de la Drôme, en vol rapide.

Cette vallée de présente tel un champ de débris, sans aucune possiblité d'atterrir, et brûlée par le eolell comme un quartier de lune. J'étais content de grimper dans l'ascendanoe avec 5 m/s. Je volai vers l'Est à la Roche Courbe et arrivai au sommet à 130 km/h. Sans perdre de temps, je suivis la crête qui se dirige vers le sud de la Roche Courbe, passai St. Nazaire-le-Désert, (effectivement un nom pas très sympathique) et me dirigeai à 140 km/h vers la montagne d'Angèle. Le mistral soufflait à 70 km/h et je m'approchai à une vitesse fantastique. L'Angèle se présente sous la forme d'un trapèze, exactement comme le Belpberg vu de l'endroit du départ, sauf qu'elle est quatre fois plus haute. Elle se trouve toute seule, et s'étire au milieu d'un désert rôti par le soleil où un atterrissage est absolument impensable. Le rude mistral souffle de toutes ses forces en plein dans son large visage. Aujourd'hui, elle avait posé coquettement un petit chapeau blanc sur sa tête et dont la forme m'intéressait tout particulièrement. A 50 m, sur la montagne, se trouvait la base d'un nuage dont l'encombremant supérieur était en forme de calotte : donc semblable à un casque de guerre anglais. C'était très comique, mais pour la belle Angèle, il fallait tout prix un chapeau individuel. En me faisant chasser dans l'ascendance de l'Angèle à 5 m/s, j'utilisais l'occasion de me concentrer un peu: les derniers 100 km s'étaient passés à peine en une heure (120 km/h de croisière.) Les nuages, dont la base s'élevait de plus en plus s'étaient raréfiés, l'exsication était donc toujours en action et le petit chapeau de l'Angèle semblait être la dernière formation nuageuse que je rencontrerais lors de mon voyage vers le sud.

Et c'était exact. En regardant entre la crête que je venais d'atteindre et la base, vers le sud il n'y avait plus aucun nuage. Malgré cela, mon moral était au beau fixe. Je voyais le Suprême, l'Entouré de légendes, je sortais mes volets pour éviter de disparaître dans le casque de l'Angele et restais 5 minutes pour l'admirer. Il était la-bas, puissant et menagant, l'éminence grise des montagnes de Provence : le Mont Ventoux. 30 km me séparaient encore de lui et une fois cette distance parcourue, l'atterrissage à Salon était assuré.

Il fallait donc traverser ces 30 km d'une manière élégante, car entre l'Angèle et le Ventoux il n'y a pas la moindre possibilité d'atterrir. A l'arrière de l'Angèle il fallait s'attendre à des descendances terribles du fait que la pente y était aussi raide que du côté Nord. Il fallait utiliser le vieux truc des lacustres: passer en contrebande avec les thermiques par-dessus les rabattants le plus loin possible, puis se tailler à toute pompe. Donc j'enclenchais mon pinceau et disparus en larges spirales dans le chapeau de l'Angèle. Mais après 100 m. de gain d'altitude, l'ascendance se transforma en forts vents descendants, et je devais fuir hâtivement le casque, par le cap 180°. Mon truc n'avait visiblement et étrangement pas joué. Je n'avais même pas le temps de m'énerver, car le vario indiquait maintenant beaucoup de descente, jusqu'à 8 m/s. Cela me laissait soupçonneux et je ne comprenais pas du tout pourquoi l'Angèle était une femme si astucieuse. Je pris mes jambes à mon cou pour échapper aux attirances de cette Eve. Après quelques secondes j'avais parcouru 2 à 3 km. Soudain, l'aiguille du variomètre retourna vers zéro, dépassa la marque critique et s'arrêta pile, après un demi-tour à plus 3 m/s. Instinctivement, je me tournai contre le vent, tout étonné. J'étais arrêté en direction du dos charmant de l'Angèle, au-dessus de la topographie, et lentement, je réalisai ce qui allait se passer.

Mon Sky c'était mis tranquillement dans le vent. Le vario était collé entre 4 et 5 m/s et j'avais de nouveau atteint l'altitude du petit chapiteau de brouillard de l'Angèle, et je montais toujours. Visiblement, le monde des montagnes semblait s'enfoncer et je pouvais regarder le casque de la Belle, d'une altitude de plus en plus élevée. Le bord avant de ce nuage était renouvelé au fur et à mesure par des paquets de"nioles", pendant qu'à l'arrière des masses d'humidité condensée, disparaissaient dans les profondeurs de la vallée, chauffée par le soleil. Le mouvement rapide interne de ce nuage était en contraste paradoxal par rapport à sa position fixe. Aurais-je pu, en manoeuvrant d'une manière un peu plus intelligente, peut-être la survoler à l'avant, sans faire de PSV ? C'est probable. Comme je n'avais encore jamais vu un nuage avec de telles caractéristiques, je lui donnais un nom: "Cumulus lenticularia angelicus".

L'Angèle, en dessous de moi, semblait de moins en moins importante et finalement, elle se cachait presque entièrement sous son propre chapeau.

L'altimètre iniquait maintenant 3000 m et l'ascendance diminuait peu à peu. Je décidai d'utiliser cette onde jusqu'au dernier centimètre parce que je pouvais piquer sur Salon presque directement, en partant de cette altitude. Comme il n'y avait aucune trace de lenticularis, je tâtai un peu la région de cette ascendance. Je montai encore jusqu'à 3700 m. J'avais mis mon masque à oxygène déjà à 3000 m et je laissais couler le gaz à travers le flowmeter. En principe, l'oxygène n'était pas encore nécessaire, mon état pitoyable du début du vol n'était plus qu'un mauvais souvenir, et je ne sentais pas de fatigue, mais j'estimais qu'au moindre de 02, je laisserais "pendre les oreilles". Les temps sont passés où je montais sans souci et sans oxygène jusqu'à 6500 m.

Arrivé à zéro, je me dirigeai vers le sud, et traversai rapidement les faibles descendances, au dos de l'onde, et ce que j'osais à peine espérer, se realisa peu après. J'étais arrêté dans une deuxième onde et montais joyeusement avec 3 m/s jusqu'à 4000 m. J'étais pendu par-dessus St. Jalle et observais, à part les instruments, la région au-dessous de moi. Partout des pierres, et tant qu'on pouvait voir, aucune tache de verdure, à peine quelques buissons sèchés par le soleil. Un vrai désert !! Une petite route se frayait péniblement un passage à travers les collines d'un gris clair. J'avais froid dans le dos en pensant à un atterrissage dans cette région délaissée par Dieu. Et malgré cela, il y avait par-dessus ce coin du monde, une beauté amère dont je pouvais jouir de mon altitude. Je pris suffisamment de temps pour l'admirer. Salon pouvait être atteint d'un vol direct et je ne me faisais plus de souci pour la vitesse de croisière, ni pour les places d'atterrissage. Je vivais dans la débauche.

Je continuais mon jeu avec les ondes et je sautillais en gagnant de l'altitude, vers le sud. Je survolais, à 17h15, le Mont Ventoux, à 5500 m.

Mont Ventoux ! La montagne des météorologues ! La montagne du Tour de France vaincue par les géants de la route, au prix d'efforts surhumains. La montagne de la nostalgie, pour les pilotes de vol à voile à l'étranger, et qui s'élève dans la plaine du Rhône, raide et solitaire, à 2000 m d'altitude. Maintenant, il était au-dessous de moi, petit et insignifiant. Il avait tiré sa gloire par cette Angèle qui vivait dans le Nord une existence insignifiante, comme une fille de Provence, inconnue. C'est l'Angèle qui est une des causes de ces séries d'ondes que j'avais rencontrées sur mon chemin. Le mont Ventoux jouait seulement, dans ce conte, le rôle du Roi qui perd son trône par les intrigues de sa femme. Puis, humblement, il laissait la frontière de sa végétation a mi-hauteur, la tête chauve, traversée de couloirs rapides, et limé par le mistral depuis les temps préhistoriques. La route était collée, comme un ver séché, le long de son corps. Le vont et les éléments labourant la station près du sommet. Pour justifier son existence, il faisait décrocher sous les ailes de mon oiseau, la huitième et dernière onde qui se trouvait dans cette série unique et qui était plus puissante que les précédentes. A 18 heures, l'altimètre indiquait 6300 m. Je me trouvais exactement en dessus de la Gabelle.

Autour de moi s'étendait un coup d'oeil magnifique; loin au nord-est, le Mont-Blanc se dressait nettement au milieu des nuages bas, sous lesquels j'avais gratté comme une taupe pendant des heures. Peu au-dessus, se présentait une bande d'horizon jaune sale, virant au bleu vers le haut. Un bleu-noir de la coupole du ciel s'élevait jusqu'au zénith. Au sud, se trouvait Marseille, a la côte brumeuse qui s'étalait de manière élégante en larges courbes vers les Pyrénées. La Méditerranée et les étangs brillaient à contre-jour, avec le soleil couchant. Toute la Provence s'étalait au-dessous de moi. Je riais dans ma trompe d'oxygène, et je poussais des "youtzes".

Une idée que je ruminais depuis déjà une heure semblait se réaliser avec ces 6000 m. Il y avait certainement quelque chose à faire. L'altitude était largement suffisante pour faire un détour par Avignon, en gondolant confortablement jusqu'à Salon et si je devais encore avoir 4000 m au-dessus d'Avignon, je voulais renoncer à mon but, longer la côte de la Méditerranée, et avancer le plus possible vers les Pyrénées. Je continuais à cheval sur mon onde, au dessus de Carpentras, vers l'ouest. Pour avancer, il fallait voler à 130 km/h et je descendais à peine d'un demi-mètre et le plus souvent le vario à zéro. Après 40 minutes, de soucis, à cause du vent latéral et de l'altitude précieuse, je passais les méandres de la Duran ce, au Sud d'Avignon et toujours je me trouvais à 5500 m d'où 50 km en 40 minutes avec une perte d'altitude de 800 m. Quel sentiment ! Je venais de passer le kilomètre 400 et il y avait 150 km de vol plané devant moi. C'était formidable ! Je chantais très fort, avec une mauvaiee voix, dans ma trompe nervurée, en caoutchouc : "Sur le pont d'Avignon, on y danse, on y danse, sur le pont d'Avignon, on y danse tous en rond... " Je dis donc au revoir définitivement à Salon et filais en direction de Montpellier. Bientôt, je traversais le Rhône dans sa largeur, qui avançait mollement vers la Méditerranée. Pour bien cheminer, je volais à 100 km/h facilité par de nouvelles ondes que j'utilisais, et sans perdre d'altitude, j'avançais vers l'Ouest. Même à 19h30, je volais pendant un quart d'heure, légèrement grimpant ou avec zéro, à la vitesse de 120 km/h le long de la côte.

Le problème de la carte devenait une réalité. Je ne pouvais plus me servir des "Alpes Maritimes", vu que j'avais atteint le coin gauche du bas de la carte. Je devais donc chercher la carte de la France au millionième. Naturellement, elle se trouvait dans un coin impossible et bien caché; il me fallut lutter un certain temps, pour finalement la sortir et la déplier au bon endroit. Je pouvais évaluer difficilement la limite des 500 km, parce qu'elle n'y était pas indiquée. Montpellier n'était pas suffisant, mais au bord Ouest de l'Etang de Thau, mon troisième "Poids d'équilibrage" selon l'expression de Berne pour les diamants, était assuré.

Nîmes avec son amphithéâtre passait au Nord, Lunel et Montpellier suivaient (480 km). L'altimètre indiquait encore 3000 m. Lentement, je commençais à distinguer de nouveau les détails du sol et le sentiment d'être assis au-dessus d'un relief de musée alpin disparut. J'enlevais mon masque à oxygène et fermais l'appareil Carba. Il restait encore 15 atm. de pression lorsque la petite boule flottante du flowmeter, se remit en place. Pas du tout étonnant si la provision s'épuisait, vu que j'avais passé plus de 3 heures au-dessus de 3000m. Je respirais à nouveau normalement comme tous les habitants de la terre, vers lesquels j'étais en train de me réintégrer.

Un avion de ligne croisa ma ligne de vol à même altitude, à peine à 500 m devant moi. Il venait d'Afrique du Nord et se dirigeait vers le nord. Je battais des ailes de manière insistante, mais la caisse filait, butée comme un char d'assaut. C'était certainement un nouveau type d'avion sans aileron ou éventuellement, les gars prenaient l'apéro ou encore, dormaient.

Comme le paysage au-dessous de moi était différent de celui de notre Patrie lointaine ! Plate et peu habitée, pleine des mystères du Sud, la terre venait de se dégager de la chaleur étouffante de la journée: ici et là s'élève une colline pierreuse et tout autour, la terre est recouverte de vignobles mûrissants, jusque dans les plus petits recoins. J'essayais de trouver n'importe quel champ d'atterrissage, mais sans résultat. Pas un pré, pas un champ si petit soit-il,ne se trouvaient entre les vignes. Il était donc impossible de poser ici le Sky sans dégâts. J'avais encore un bon moment devant moi jusqu'à l'atterrissage, mais le paysage à proximité m'inquiétait un peu. Si le relief continuait comme cela, je pouvais m'attendre à une drôle de fin. Mèze passait également, Sète avec sa colline rocheuse près du port; mais je n'avais toujours pas vu la moindre petite place d'atterrissage depuis Montpellier. J'avais encore 2000 m à mon altimètre, et je n'avais rien d'autre à faire que de chercher l'aérodrome à proximité de la prochaine ville importante.

Et je volais toujours avec zéro, vers le sud-ouest, en direction de Béziers. Je perdis à peine 500 m jusqu'à cette ville. La montre indiquait 19h50 mais où était l'aérodrome? Je cherchais intensément une grande place qui se présenterait autrement que sous la forme d'un vignoble et ne trouvant rien de tel, je continuais à survoler la ville. J'étais déjà décidé de pousser jusqu'à Narbonne pour trouver quelque chose pour m'asseoir, quand tout a coup, je découvris un vaste champ militaire à l'ouest de Béziers. Tout était représenté sur cet aréal, depuis les canons, jusqu'aux camions. Les bâtiments et hangars, entre lesquels se mouvaient de petits points, étaient construits à côté d'une immense place sablonneuse, avec des buissons brun foncé. Au centre, il y avait une sorte de couloir libre d'à peu près 100 m de long. Je cherchais encore une fois à l'ouest, mais il n'y avait pas d'autre possibilité d'atterrissage plus avantageuse jusqu'à Narbonne, et ce que je pouvais espérer trouver aux alentours de cette ville était certainement aussi douteux que cet endroit-là.

Je choisis la solution sûre et, sortis mes volets à 1500 m en face des points lumineux et lointains de Perpignan. Je détruisis l'altitude en larges spirales et constatai que le vent soufflait à peine à 10 ou 15 km/h du nord-est. Je m'approchai de la place avec une grande réserve de vitesse, en piqué, et posai à 20h mon Sky sur le sol du sud de la France.

La tranquillité autour de moi était très impressionnante. Quelle drôle de réaction de ne plus entendre le sifflement du vent après 10h30 de vol, spécialement si l'on se trouve caché jusqu'aux ailes, entre des buissons drus et à 20 m. au-dessus du niveau de la mer, sur le sable nu. Pendant que je laissais glisser définitivement le manche et que j'ouvrais le capot, je m'étendais de tout mon saoûl dans l'air chaud du soir, tout en restant encore un moment dans la cabine étroite. Ma satisfaction pour cet atterrissage réussi fut troublée par des sentiments particuliers. Comme des chauve-souris dans un clocher endormi, ces sombres pensées voltigeaient autour de la joie de cette réussite. Je venais de terminer le vol de ma vie. J'avais survolé des paysages où un atterrissage, sur des distances de plus de 100 km était absolument impossible. J'avais découvert l'Angèle et je pouvais être fier de la bagarre dans le tuyau de ciment et malgré les conditions météorologiques plus défavorables qu'une situation de bise classique, j'avais réussi le vol, et encore, j'étais le premier vélivole Suisse qui pouvait ajouter le 'troisième "poids d'équilibrage" à son insigne. J'avais réussi toutes ces conditions pour cette distinction, en partant de Berne - une satisfaction particulière - et j'avais pu prouver ce qu'Alvin et moi pensions, de la route sud-ouest.

Tout cela aurait dû me remplir de joie pure et malgré tout, les chauve-souris voltigeaient. Une question se posait: pourquoi n'as-tu pas terminé les 580 km. certainement acquis, au lieu de détruire stupidement l500 m ? Une autre: Te serais-tu fait attraper comme un débutant au Mont Colomby ? Une autre plus méchante : Appartiens-tu donc à la vieille ferraille, maintenant ? La joie du désir n'est-elle pas plus profonde lorsqu'on désire une chose que lorsqu'on la possède ? Que vas-tu devenir maintenant, sans but ?

Le front plissé, je sortis de la machine, étendis mes articulations et chassai les bêtes voltigeantes qui voulaient se poser dans un recoin mélancolique de mon âme. Ou était-ce tout simplement la fatigue qui s'emparait lentement de moi ? C'était certainement la fatigue....

A travers les buissons, quelques personnes s'approchaient. Avant tout le monde, un soldat avec mitraillette s'avançait. Le sport allait commencer. On pourrait remplir des pages et des pages sur la réception des autorités militaires de la police et sur Nelly et Josette qui arrivèrent 16 heures après l'atterrissage. Sans parler des pastis. Et comme nous nous amusèrent, à pieds nus, sur la plage de Sète, en faisant des pâtés dans le sable chaud, en gobant des moules à la Marinière, dans une pinte du port. Puis vint le transport du retour, pendant lequel je commençais à réaliser la distance énorme que j'avais parcourue. Quelle réception à la maison, lorsque j'appris que la Sportfliegerschule me faisait cadeau de tout mon vol, jusqu'au dernier centime, et combien j'eus de plaisir, avec mes amis, en leur racontant toute mon histoire et ses anecdotes.

Tout cela appartient à un passé vécu de vélivole, comme l'eau appartient au poisson. Je te souhaite, à toi, fou du manche, d'apprécier ces délicatesses de notre sport idéal. C'est un baume pour la nostalgie secrète des distances à l'étranger, et si jamais tu as choisi le jour exact pour le plus long vol de ta vie - j'espère t'avoir un peu indiqué le chemin - je te dis M.... 

repris in extenso d'une traduction "suisse" du  texte de Hans Nietlispach.

 

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